Dans une lettre en date du 6 mars adressée à la ministre déléguée chargée de la famille - et rendue publique à l'occasion du conseil d'administration du 12 mars -, Jean-Louis Deroussen, le président (CFTC) de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) indique que les CAF sont "au bord de la rupture". Tout en précisant que la branche Famille a "pleinement conscience" de la gravité de la crise économique et "malgré tous les efforts accomplis par les directions des caisses", le président de la Cnaf estime que les caisses sont confrontées à "une charge de travail insupportable". Il tient ainsi à alerter Dominique Bertinotti sur "le fait qu'une décision qui viserait à réduire les effectifs aurait des conséquences inéluctables sur le climat social et serait de nature à embraser le réseau des CAF".
Un contexte particulier
Comme le montre cette affirmation, les préoccupations syndicales ne sont évidemment pas absentes de ce courrier. Outre les inquiétudes sur le climat social - qui se tend effectivement dans certaines caisses - d'autres arrière-pensées peuvent aussi expliquer cette lettre. La nouvelle convention d'objectif et de gestion (COG) 2013-2016 est en voie de signalisation et doit être signée dans les prochaines semaines. De même, la Cour des comptes travaille sur la certification des comptes 2012, après le choc qu'a constitué - pour la branche Famille - le refus de certification des comptes 2011. Dans des caisses "au bord de la rupture" pour faire face à la demande sociale, la surcharge de travail peut expliquer - sinon justifier - certaines insuffisances dans les contrôles (voir notre article ci-contre du 28 juin 2012). Enfin, le lancement de la mission Fragonard sur la réforme des prestations familiales (voir notre article ci-contre du 29 janvier 2013) et l'annonce d'un besoin d'économies de 2,2 milliards d'euros à l'horizon 2016 - chiffre tiré d'un rapport qui doit être examiné le 14 mars par le Haut conseil de la famille, présidé par le même Bertrand Fragonard - constituent également des éléments de contexte.
Des réponses innovantes, mais insuffisantes
Au-delà de ces considérations tactiques, il reste que les CAF sont effectivement confrontées, depuis plusieurs années, à des difficultés récurrentes (voir par exemple nos articles ci-contre du 20 avril et du 13 décembre 2011). La branche famille a pourtant mis en place des solutions innovantes de mutualisation pour faire face à la surcharge d'activité, qui touche principalement les CAF des grands départements urbains. Des dispositifs comme les "ateliers de régulation des charges" - qui viennent en soutien de caisses en difficulté - ou la mutualisation de la réponse téléphonique - avec le transfert des appels entrants d'une CAF urbaine sur une CAF rurale plus disponible, de façon totalement transparente pour l'usager - ont été des facteurs incontestables d'amélioration. De même, les CAF ont utilisé la proposition qui leur était faite par Dominique Bertinotti de recourir aux emplois d'avenir pour renforcer les caisses surchargées (voir notre article ci-contre du 27 novembre 2012). Mais, comme l'indiquait alors Localtis, les emplois d'avenir ne sont pas la panacée, dans la mesure où les caisses embauchent désormais leurs agents instructeurs à bac+2, et qu'il faut y ajouter environ 18 mois pour qu'un agent soit pleinement opérationnel. Des délais pas vraiment compatibles avec des CDD de un à trois ans. La mésaventure de la CAF du Var, qui a embauché 18 jeunes en contrat d'avenir comme téléconseillers avant d'en licencier six pour niveau insuffisant, témoigne de cette difficulté (voir notre article ci-contre du 11 février 2013).
Fermetures en cascade
En dépit de tous ces efforts, plusieurs caisses connaissent aujourd'hui de réelles difficultés. Le cas le plus emblématique est celui de la CAF des Bouches-du-Rhône. Après avoir demandé aux allocataires de "venir le moins possible", sa direction a en effet annoncé la fermeture de tous ses accueils du 11 au 22 mars, "pour permettre de traiter les dossiers de ses allocataires dans des délais plus réduits". Les difficultés de fonctionnement se doublent en outre d'un conflit social et de tensions au sein du conseil d'administration. De son côté, la CAF des Alpes-Maritimes ferme ses accueils d'Antibes, Cannes, Grasse, Menton et Nice Ouest du 11 mars au 1er avril. Celle de l'Essonne ferme ses espaces d'accueil de Corbeil, Les Ulis et Massy "pendant les vacances", autrement dit du 4 au 15 mars. Mais d'autres CAF de moindre importance sont également confrontées à de sérieuses difficultés. A titre d'exemple, la CAF du Jura annonce huit journées de fermetures exceptionnelles d'accueil sur le mois de mars, tandis que celle de l'Yonne ferme son accueil d'Auxerre tous les jeudis du mois de mars et celui de Sens durant deux jours. De son côté, la CAF du Puy-de-Dôme annonce la fermeture définitive de six à huit accueils sur les seize du département. L'outre-mer est tout aussi touché : par exemple, la CAF de Guadeloupe ferme cinq centres d'accueil pour des durées allant de un à onze jours sur le seul mois de mars. Ces difficultés et ces fermetures temporaires et ciblées n'ont à vrai dire jamais cessé depuis quelques années, mais elles semblent prendre aujourd'hui une ampleur nouvelle.
A ce jour, le gouvernement n'a pas réagi au courrier de Jean-Louis Deroussen. Mais, tout en ne niant pas les difficultés actuelles, il pourrait bien lui rappeler que la branche famille a bénéficié de 1.257 postes supplémentaires sur la durée de la COG 2009-2013 pour faire face à la montée en charge du RSA et à l'augmentation de la demande sociale.
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