Au terme de trois jours de débats parfois ardents, alors qu'au dehors sévissait la canicule, les députés ont adopté à main levée ce 28 juin le projet de loi Énergie-Climat. Le texte sera au menu du Sénat en commission le 10 juillet puis en séance à partir du 17.
Le ministre de la Transition écologique, François de Rugy a défendu un projet de loi qui "redonne clairement le cap d'une ambition forte" sur le climat, alors que l'exécutif a promis un acte II du quinquennat plus vert. À l'issue des débats, des élus de divers bords ont déploré, à l'instar de Julien Aubert (LR) une fin d'examen "avec un hémicycle composé d'une vingtaine de personnes". Sur le fond, Huguette Tiegna (LREM) a vanté une loi qui "vient à pic", tandis que Nicolas Turquois (MoDem) a salué un texte "ambitieux par son pragmatisme".
"Loi d'affichage" pour les ONG
Mais dans l'opposition, la déception était largement de mise. Les élus LR ont voté contre, Julien Aubert disant partager les objectifs mais évoquant des points qui "chiffonnent" sur les tarifs réglementés de l'électricité ou la trajectoire de baisse du nucléaire. Sur le même mode, Laure de La Raudière (UDI et indépendants) a déploré une "petite loi de l'énergie". S'abstenant, François-Michel Lambert (Libertés et territoires) a jugé "extraordinaire" de débattre de ce texte, jugé "très léger", alors que des records de chaleur sont battus dans le pays.
À gauche, Marie-Noëlle Battistel (PS) qui avait fait part de sa déception en amont, a reconnu des "points positifs" lors des débats, notamment sur la rénovation énergétique, et opté au final pour une "abstention constructive", tandis que Mathilde Panot (LFI) a critiqué un texte avec "des beaux mots" mais "ridicule au vu de l'urgence écologique et climatique".
Les associations environnementales du Réseau action climat (Greenpeace, France Nature Environnement, WWF...) ont aussi dénoncé "une loi d'affichage" avec "peu de conséquences concrètes". Selon elles, les députés ont voté symboliquement "l'urgence climatique mais n'en ont pas tiré les conséquences qui s'imposaient".
Absent du projet de loi initialement, le sujet de la rénovation des logements mal isolés, les fameuses "passoires thermiques", qui représentent quelque 7 millions de logements, a largement animé les débats (lire notre article). Des députés plaidaient, à l'instar des ONG, pour des mesures coercitives rapides, rappelant la promesse de campagne du candidat Macron d'interdire la location de ces "passoires" à compter de 2025. L'Assemblée a fini par opter pour une disposition de compromis en trois étapes : "incitation, obligation et en dernier recours sanctions", celles-ci ne devant pas intervenir avant 2028. Le ministre s'est félicité que la France "accélère dans la guerre contre les passoires", mais la gauche, comme des ONG, ont fait part de leur déception face à une absence d'"obligation ferme", selon les termes de la fondation Nicolas-Hulot.
"Urgence écologique et climatique"
L'article phare du projet de loi (art. 1er), portant sur les objectifs de la politique énergétique du pays a été adopté le 27 juin par 41 voix contre sept et quatre abstentions. La proclamation symbolique de "l'urgence écologique et climatique", vue par François de Rugy comme "une déclaration politique", avait été rajoutée au projet de loi en commission (lire notre article). Dans la nuit du 26 au 27 juin, certains députés comme l'ancienne ministre de l'Écologie Delphine Batho (ex-PS) ou l'ex-"marcheur" Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, avaient cependant regretté que l'ambition affichée ne se traduise pas dans la loi par des engagements à la hauteur, selon eux, des enjeux climatiques décrits par les scientifiques.
Parmi les objectifs fixés, l'article 1er prévoit d'atteindre "la neutralité carbone" à l'horizon 2050. Ce principe suppose de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que le pays ne peut en absorber via notamment les forêts ou les sols. Pour ce faire, la France devra diviser ses émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six par rapport à 1990. Le texte prévoit une baisse de 40% de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030, contre 30% précédemment.
Mais, d'après Delphine Batho, "l'objectif de 40% en 2030 ne correspond à rien, c'est un chiffre politique" ne correspondant pas aux préconisations des scientifiques. "Le coeur du débat est de savoir si l'urgence climatique, c'est juste des mots ou s'il y a un traduction concrète", a insisté l'ex-ministre, qui a proposé de prendre comme indicateur "l'empreinte carbone" qui tient compte des émissions de gaz à effet de serre liées aux importations et exportations.
Matthieu Orphelin a également plaidé pour que la France ne se résigne pas dès maintenant à assumer "l'échec d'arriver à maintenir un réchauffement à 1,5°". A l'opposé, le député LR Julien Aubert a estimé qu'il ne fallait pas se fixer "des objectifs de type URSS parfaitement inatteignables". "La question du rythme est légitime mais nous assumons le choix d'une voie qui nous paraît réaliste", a tranché François de Rugy.
Via un amendement LREM, un objectif intermédiaire de réduction des consommations énergétiques finales "d'environ 7% en 2023" (par rapport à 2012) a été ajouté. "Intéressant d'avoir un objectif pour la fin du quinquennat", a salué Matthieu Orphelin. L'objectif de réduction, fixé depuis quatre ans, est de 20% en 2030.
Un autre amendement LREM a inscrit l'objectif de développer l'hydrogène "décarboné" en prévoyant que sa part atteindra entre 20 à 40% de la consommation totale d'hydrogène industrielle "à l'horizon 2030".
Parmi les autres objectifs, le projet de loi entérine le report de 2025 à 2035 de l'objectif de ramener à 50%, contre plus de 70% aujourd'hui, la part du nucléaire dans la production d'électricité française. L'horizon précédent était jugé "irréaliste" par le gouvernement. La feuille de route énergétique de la France (la programmation pluriannuelle de l'énergie, PPE) prévoit la fermeture de 14 réacteurs nucléaires sur 58 d'ici 2035. Mais elle ouvre aussi la porte à la construction de nouveaux réacteurs. Deux amendements PS ont par ailleurs prévu la publication de feuilles de route portant sur la sobriété énergétique pour le numérique et la réduction de la consommation des énergies nocturnes (affichage numérique, éclairage public, chauffage d'immeubles tertiaires, notamment), en annexe de chaque programmation pluriannuelle de l'énergie.
Fin programmée des centrales à charbon
L'Assemblée nationale a aussi donné son feu vert au gouvernement pour procéder à la fermeture des quatre dernières centrales à charbon d'ici 2022 (article 3 du projet de loi). La mesure, adoptée jeudi soir par 48 voix et 5 abstentions, prévoit qu'un décret plafonnera les émissions de gaz à effet de serre émises par les installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles situées en métropole "et émettant plus de 0,550 tonne d'équivalents CO2 par heure". Cela "conduira les exploitants des centrales à cesser l'exploitation des tranches fonctionnant au charbon". Est également prévu un accompagnement spécifique pour les salariés des centrales concernées et leurs sous-traitants - environ 670 emplois directs et 740 indirects selon l'étude d'impact accompagnant le texte. Deux des centrales à charbon appartiennent à EDF et sont situées à Cordemais (Loire-Atlantique) et au Havre (Seine-Maritime). Les deux autres, propriétés de l'Allemand Uniper, se trouvent à Gardanne (Bouches-du-Rhône) et Saint-Avold (Moselle). Le groupe EDF a annoncé début juin qu'il fermera celle du Havre au printemps 2021.
"C'est un choix important en matière énergétique de tourner une page (...) et c'est concrètement la transition énergétique", a affirmé François de Rugy. Il a ajouté que sur "beaucoup de ces territoires, d'autres activités de production énergétique, d'énergies renouvelables ou d'activité industrielle liées aux énergies renouvelables vont prendre le relais". Le charbon représente "1,8%" de la part de production d'électricité, "mais c'est 35% des émissions que nous allons réduire", a souligné Célia de Lavergne, responsable du texte pour LREM, en se félicitant d'accomplir "un grand pas vers la neutralité carbone en 2050". Sur la fermeture des centrales, Laure de la Raudière (UDI-Indépendants) a loué "une décision courageuse" puis l'ancien "marcheur" Matthieu Orphelin (non inscrit), proche de Nicolas Hulot, a salué "une avancée majeure". Julien Aubert (LR) a approuvé une mesure "qui va dans la bonne direction" tout en appelant l'exécutif à "ne pas négliger les réalités sociales". Hubert Wulfranc (PCF) s'est abstenu, estimant que "l'avenir immédiat des salariés" n'était "pas totalement sécurisé". L'ex-ministre de l'Ecologie Delphine Batho (non inscrite) a vu dans le choix de procéder par décret une volonté du gouvernement de "conserver manifestement une marge de souplesse". "Est-ce en fait pour mettre en veille ces centrales tout en gardant la possibilité de les faire tourner quelques heures ?", a-t-elle demandé. Delphine Batho a, comme le groupe socialiste et les Insoumis, réclamé en vain la fermeture des centrales en 2022 sans passer par la voie réglementaire.
Élargissement des aides du Face
Après l'article 3, un nouvel article adopté à l’initiative du gouvernement modifie l’article L. 2224 31 du code général des collectivités territoriales. Jugeant qu'"en raison de leur positionnement stratégique, les autorités organisatrices d’un réseau public de distribution d’électricité ont un rôle clé à jouer dans la transition énergétique française", l’amendement élargit les possibilités pour elles de bénéficier d’aides, notamment de la part du fonds d’amortissement des charges d’électrification (Face) pour concourir à l’atteinte des objectifs de politique énergétique. "Il s’agit par exemple de permettre la réalisation d’installations de stockage permettant d’intégrer des énergies renouvelables tout en évitant le renforcement des réseaux de distribution", a illustré le gouvernement.
Sécurisation juridique des PPRT
À l'article 4, qui vise à définir l'autorité chargée de l'examen au cas par cas dans le cadre de l'évaluation environnementale, les députés ont adopté un amendement pour valider les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) faisant l’objet d’une procédure contentieuse en cours et qui seraient affectés d’un vice de procédure. Cela tient au fait que le préfet de département était, jusqu’au 30 avril 2016, désigné comme autorité environnementale pour procéder à leur examen au cas par cas en vue de déterminer si une évaluation environnementale devait être réalisée. Mais ce point est jugé illégal par les juridictions administratives en raison de l’absence d’autonomie suffisante entre l’autorité compétente pour procéder à cet examen et celle compétente pour approuver le plan. L'amendement vise donc à éviter une nouvelle décision de justice comme celle prononcée par le tribunal administratif de Lyon sur le PPRT de la vallée de la chimie. "L’annulation d’un PPRT, qui prive les populations des protections qu’il met en place, est lourde de conséquences compte tenu des risques qu’il a pour objet de prévenir. En particulier, toutes les personnes qui n’auront pas pu faire l’objet de mesures de protection, d’expropriation ou de délaissement seraient exposées pendant une longue période, explique l'auteur de l'amendement, le député LREM Yves Blein, dans l'exposé des motifs. La présente mesure permet donc de garantir au mieux la sécurité des populations en maintenant ces PPRT en vigueur".
Les députés ont aussi modifié l'article 5, qui vise à renforcer le contrôle des certificats d'économies d'énergie (CEE). Ils ont notamment souhaité rendre public tous les six mois, et non plus annuellement, le nombre de certificats délivrés par secteur d’activité et par opération standardisée d’économies d’énergie.
Tarifs réglementés de l'électricité et du gaz
L'Assemblée nationale a en outre donné vendredi son feu vert à une hausse des plafonds de l'électricité qu'EDF peut livrer à un coût réglementé aux autres fournisseurs, ce qui doit permettre selon le gouvernement de stabiliser la facture des consommateurs. Le gouvernement avait dit vouloir revoir le mode de calcul des tarifs réglementés dans le cadre du projet de loi énergie et climat, après la hausse de 5,9% au 1er juin. L'article 8 adopté par l'Assemblée permettra de relever de 100 à 150 térawatts-heure (TWh) par an à compter de 2020 le niveau de l'électricité nucléaire qu'EDF peut donc livrer à un coût réglementé. L'idée est de donner ainsi accès à un volume un peu plus important à cette électricité à prix stable et de réduire le recours au marché européen plus "volatil". François de Rugy a fait valoir que "si le plafond avait été de 150 térawatts-heure en 2018 la hausse de l'électricité aurait été de 3% au lieu de 5,9%, c'est ce que j'appelle défendre le consommateur".
Le texte prévoit également une modification du prix du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) par arrêté, pour prendre en compte cette évolution du plafond au regard de l'impact financier sur EDF. Le prix actuellement de 42 euros par MWh pourra être revu "légèrement" à la hausse, après des discussions au niveau européen.
Certains élus se sont inquiétés des conséquences de la mesure pour EDF, des "marcheurs" plaidant notamment pour que la proportion reste "soutenable" pour l'entreprise. Julien Aubert (LR) a jugé le dispositif "tout sauf sain" plaidant pour réserver les tarifs réglementés aux opérateurs disposant de leurs propres capacités de production. Mathilde Panot (LFI) a dénoncé l'ouverture à la concurrence qui est "en train de tuer EDF". Marie-Noëlle Battistel (PS) s'est opposée en vain au relèvement du plafond évoquant un mécanisme "à bout de souffle" et jugeant la décision "déséquilibrée" alors que le prix est inchangé pour l'heure. Le ministre s'est alors dit favorable à "revoir le mécanisme de l'Arenh dans sa globalité".
L'Assemblée a voté dans la foulée l'article 12 visant à mettre fin aux tarifs réglementés de vente du gaz naturel de manière progressive, jusqu'au 30 juin 2023. La mesure avait été initialement prévue dans la loi Pacte, mais elle avait été censurée par le Conseil constitutionnel comme sans lien avec le texte ("cavalier législatif").
Enfin, le nouvel article 13, introduit par un amendement du député LREM du Doubs Eric Alauzet et sous amendé par le gouvernement demande à celui-ci de remettre au Parlement, dans un délai de deux ans après la promulgation de la loi, un rapport concernant la contribution des plans climat-air-énergie territoriaux et des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires aux politiques de transition écologique et énergétique. Ce rapport comparera notamment cette contribution aux objectifs nationaux et aux orientations nationales inscrits dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas carbone.
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