"Si aucune action d’envergure n’est réalisée dès maintenant et dans les années à venir, les forêts vont être fragilisées au point de ne plus pouvoir assurer nombre de leurs fonctions écologiques et de régulation des cycles biogéochimiques. Par ailleurs, elles ne pourront plus fournir l’ensemble des biens et services dont nous avons besoin, notamment pour répondre au changement climatique et contribuer efficacement à la transition bas carbone de notre économie." L’alerte est lancée par le comité spécialisé "Gestion durable des forêts", qui vient de remettre ce 26 juillet au ministre de l’Agriculture son rapport en vue de l’élaboration du plan national pour le renouvellement forestier.
Un rapport qui fait "partie intégrante de la stratégie nationale pour la biodiversité 2030", récemment dévoilée (voir notre article du 24 juillet), rappelle le ministère de l’Agriculture. L’heure paraît d’autant plus grave que les attentes à l’égard de la forêt n’ont peut-être jamais été aussi grandes : stocker le carbone (alors que le puits forestier français a été divisé par deux depuis 2010, rappelle le rapport), abriter la biodiversité, répondre à la demande de matériaux renouvelables et d’énergie, sans compter les "fonctions sociétales", notamment comme "espace de loisirs".
10 milliards d’euros…
Le groupe estime qu’au minimum 15% de la forêt métropolitaine (2,6 millions d’hectares) sont directement concernés par les effets du changement climatique (augmentation des surfaces incendiées, poursuite des dépérissements, ralentissement de la croissance, etc.) et nécessiteraient une action volontaire dans les dix prochaines années, le renouvellement habituel ne suffisant pas. Il estime toutefois raisonnable de retenir que 10% de la forêt française pourrait faire l’objet d’actions de renouvellement ou d’enrichissement, ce qui représenterait un investissement d’environ 10 milliards d’euros sur la période.
Condition de la réussite, "l’existence d’un socle de financement public pérenne, apportant de la visibilité aux acteurs". Ce qui suppose également "des cahiers des charges et des critères d’attribution des aides également stables sur la durée, tout en visant la simplicité". Au-delà des fonds nationaux, le groupe appelle notamment à davantage solliciter les crédits du Feader, qui aujourd’hui "ciblent le plus souvent les aides aux infrastructures forestières et de DFCI et ne sont pas suffisants". Les investissements privés sont également à encourager en complément (notamment via le label bas-carbone ou en mettant en place des dispositifs de paiement pour services environnementaux), mais "ils ne peuvent assurer à eux seuls les garanties et la visibilité nécessaires, ni se substituer à un socle de financement public".
… et de nombreux freins à lever
Reste que l’obstacle financier est loin d’être le seul à franchir. Le groupe estime qu’entre 900 millions et 1,1 milliard de plants sur 10 ans seraient nécessaires (correspondant à l’engagement présidentiel – voir notre article du 28 octobre 2022) en plus des plants assurant le renouvellement habituel et le boisement de terres délaissées (relevant au passage que le stock de terres en voie d’afforestation est important – 60.000 hectares de forêts nouvelles par an – et pourrait encore croître de 90.000 hectares sur les dix ans à venir).
Pour le groupe, l’augmentation de production de plants, conditionnée à la pérennité des dispositifs d’aides, nécessite également de la visibilité à long terme tant pour les propriétaires que pour les entreprises réalisant les travaux, des investissements capacitaires et d’adaptation des pépinières (notamment pour tenir compte de la diminution de l’irrigation et des intrants), la disponibilité des semences – "le plus gros facteur limitant" – ou encore d’augmenter l’attractivité des métiers (15% à 20% de salariés supplémentaires seraient nécessaires, les effectifs actuels oscillant entre 800 et 1.000 équivalents temps plein). En l’espèce, le rapport souligne que "les formations dédiées ayant disparu, les entreprises assurent elles-mêmes les formations".
La réussite suppose également que les entreprises de travaux "soient au rendez-vous". Là encore, le groupe insiste sur l’importance de la visibilité à long terme. Les entreprises devront en effet réaliser d’importants investissements en matériel (la mécanisation restant le "facteur déterminant" de leur productivité alors qu’aujourd’hui moins de 5% des chantiers sont mécanisés, pointe le rapport) et en personnel qualifié qu’il faut encore trouver. Le rapport insiste sur la nécessité de valoriser les métiers liés aux travaux de sylviculture et d’exploitation forestière pour y parvenir. Une valorisation qui semble d’autant plus indispensable à l’heure où ces travailleurs sont de plus en plus souvent pris à partie (voir la déclaration prise lors des assises de la forêt et du bois), et qui appelle sans doute en parallèle un renforcement de la pédagogie, comme l’avaient mis en relief ces mêmes assises (voir notre article du 17 mars 2022).
Le groupe met encore en avant le besoin de corriger les situations de déséquilibre forêt-gibier – une "condition impérative" –, de simplifier les procédures, de renforcer la recherche, de mettre en place un dispositif de suivi et d’évaluation ou encore de "territorialiser" ce renouvellement forestier. "Les modalités de mise en œuvre devront être discutées localement auprès des acteurs de terrain". "Des concertations locales seront nécessaires", prévient le rapport.
Un fonds pérenne à venir
Recevant officiellement ce rapport au cours d’un déplacement à Tigy, dans le Loiret, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, accompagné de la nouvelle secrétaire d'État à la Biodiversité, Sarah El Haïry, a indiqué que "l’État prendra en charge une partie de cet investissement". Le ministère de l’Agriculture a précisé dans un communiqué qu’un "fonds pérenne" prendra le relais "dès 2024" des mesures contenues dans le plan France 2030 (150 millions d’euros en faveur du renouvellement forestier – voir notre article du 4 novembre), en précisant qu’il "sera discuté lors du prochain projet de loi de finances, avec l’ambition d’une montée en puissance progressive d’ici 2030".
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