C’est un travail imposant que viennent de réaliser simultanément et en parallèle – un fait suffisamment rare pour le souligner – les deux missions d’information parlementaires sur l’après-Xynthia. L’une à l’Assemblée nationale, pilotée par le député-maire de La Rochelle Maxime Bono, et l’autre au Sénat, présidée par Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée. "L’objectif n’est pas d’empiler les rapports, on ne compte pas en rester là et dès septembre, l’équipe sénatoriale à l’origine de ce rapport va élaborer une proposition de loi pour faire bouger les choses", précise Bruno Retailleau. Au total, ces deux missions ont mené près de 200 auditions, avec une approche quelque peu différente mais pour des conclusions assez proches. Si bien qu’à défaut de se répéter, leurs épais rapports – 600 pages au total – sont complémentaires, même s’ils présentent certains points de désaccord.
Prévision des risques, alerte et secours
Le système d’alerte a bien fonctionné mais reste perfectible. "Trop d’alerte tue l’alerte", pointe ainsi le rapport des députés : face à une profusion de messages au contenu complexe à décrypter, les élus locaux ont rencontré en effet des difficultés. Il est donc proposé de mieux mettre l’accent dans les messages d’alerte sur le phénomène de submersion marine, là où la plupart ne se focalisent que sur la force du vent ou sur une "surcote" peu parlante pour le néophyte, d’intégrer ce type d’alerte aux schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (SPACR) et d’établir un "système d’avertissement", un "référentiel parlant pour les élus". Le réseau national d’alerte (RNA) doit être amélioré, les modalités de diffusion aussi : massification dans l’envoi de SMS à la population concernée, gestion du problème de saturation des réseaux télécoms avec les opérateurs, soutien aux petites communes souvent dénuées de moyens afin de pouvoir se mettre à la page, retour au système des sirènes, ce qui nécessite que ce type d’alerte soit compris de la population. "On touche là un point sensible, à savoir un défaut d’appréhension et de culture du risque en France", éclaire Bruno Retailleau.
Concernant les secours, l’effort de mobilisation des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) est salué par les parlementaires. Ils proposent néanmoins de relocaliser certains services dans des zones non inondables, de finaliser le système Antares, de renforcer les moyens aériens, la cohérence d’encadrement de ces services par un préfet coordonateur et, enfin, de mieux prioriser les appels d’urgence.
Zonage et prise en charge des sinistrés
Le constat est rude : le dispositif de zonage s’est mis en place dans "un foisonnement d’incohérences", avec "un entêtement administratif sans équivalent", une "doctrine manifestement arbitraire" et un manque de transparence et de concertation tel que certains échelons locaux, comme la communauté d’agglomération rochellaise, n’ont semble-t-il même pas été consultés. Les députés regrettent ainsi que la responsabilité des élus ait pu être pointée du doigt, alors qu’ils ont selon eux été globalement réactifs et que le problème vient plus d’une "dérive de la chaîne décisionnelle" et d’une précipitation généralisée. Le rapport des députés explique que les préfets ont dû agir à la hâte et qu’à la précipitation s’est ajoutée, au niveau départemental, une réactivité altérée par la réforme administrative en cours au niveau des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Les décalages entre les discours officiels et la mise en œuvre sur le terrain ont encore plus noirci le tableau. Pour les députés, ce principe de zonage porte de toute façon atteinte à la propriété privée et risque d’être un nid à contentieux sur une longue durée. Quant aux sénateurs, ils auraient préféré voir la logique de zones noires et d’expropriation se renverser au profit d’un "droit de délaissement" offert aux propriétaires. Pour affiner le tracé des "zones d’acquisition amiable", ils demandent qu’en Charente-Maritime, des expertises complémentaires soient réalisées, comme c’est le cas en Vendée, et que la phase d’acquisition amiable se poursuive plus longtemps, après même le passage à la phase d’expropriation. Ils souhaitent aussi que les sinistrés soient relogés dans leur agglomération d’origine. Par ailleurs, le statut des futures "zones d’extrême danger" reste à leurs yeux à clarifier.
Planification et urbanisme
A la méconnaissance du risque inondation, déjà stigmatisée par la Cour des comptes dans un rapport remontant à une dizaine d’années, les députés ajoutent qu’une difficulté globale persiste pour décliner la doctrine nationale face aux spécificités locales. Documents d’urbanisme obsolètes, rigidité des dispositifs : si les maires sont si réticents à l’établissement des plans de prévention des risques naturels (PPRN), ce n’est peut-être pas que par mauvaise volonté mais parce que ces plans sont inadaptés aux réalités locales, glissent les sénateurs… Pour améliorer les plans, les députés suggèrent qu’ils s’appuient sur une meilleure connaissance et modélisation des milieux, une prise en compte de la "géohistoire", d’une mémoire des lieux, une direction dans laquelle le ministère de l’Ecologie semble d’ailleurs œuvrer. Les sénateurs proposent de créer une nouvelle catégorie : les "plans de prévention des risques de submersion marine" (PPRS) qui, aux côtés de ceux dédiés à la prévention du risque de crue, déclineraient un contenu spécifique et donc adapté. Mieux informer les élus à travers la procédure de "porter à connaissance" est une autre piste plébiscitée par les sénateurs, qui préconisent par ailleurs d’interdire que des autorisations d’urbanisme tacites soient délivrées dans les zones couvertes par un PPRN. Plusieurs propositions visent aussi à renforcer l’obligation d’adoption de plans communaux de sauvegarde (PCS), qui permettent "un meilleur lien avec l’Etat dans les premières heures d’une crise" selon les députés. Pour aider les communes à les établir, les sénateurs proposent de désigner un aide-référent dans chaque département et que ces plans soient avant tout conçus pour être "simples et rapidement effectifs".
Indemnisation et financement
Jugé "adapté" par les députés, car il permet la solidarité et aux assureurs de se réassurer avec la garantie de l’Etat, le régime des catastrophes naturelles n’en est pas moins "vulnérable" et, ajouté au Fonds Barnier, qui reste insuffisamment doté, il ne réussit pas au final à atteindre un niveau d’indemnisation satisfaisant. Députés et sénateurs préconisent de consolider ce fonds par un prélèvement de la Caisse centrale de réassurance (CCR). Dans tous les cas, il faut "garantir une ressource pérenne" car le constat est unanime : lenteur dans les aides aux professionnels et agriculteurs en grande difficulté (les premières aides validées par Bruxelles, une vingtaine de millions d’euros, sont attendues cet été). Quant aux collectivités, elles n'ont pas encore perçu les aides annoncées par l’Etat. Elles n'ont touché que celles des départements et des régions. Pour les sénateurs, c’est au niveau européen qu’il faut agir : ils proposent de promouvoir une révision des modalités de contrôle des aides publiques versées à la suite d’une catastrophe naturelle. Pour les collectivités, ils proposent de mettre en place un mode de compensation des pertes de recettes fiscales que la démolition des maisons situées en zone d’acquisition amiable induira. Et de recourir également à la solidarité nationale pour réparer les biens non assurables, en particulier les infrastructures. Enfin, les députés ajoutent qu’il faut inciter les assureurs à jouer un rôle plus fort en termes de prévention.
Morgan Boëdec / Victoires éditions
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