"Un pari réussi", "un beau débat citoyen". C'est en ces termes que Roselyne Bachelot a qualifié ce 21 juin les cinq mois de travaux sur la dépendance pilotés par son ministère, évoquant notamment la trentaine de débats organisés en région. Une phase qui se clôt aujourd'hui puisque les quatre groupes de travail nationaux viennent de rendre leurs rapports respectifs. Au total, pas moins de 270 pages très documentées témoignant largement du niveau d'expertise de ces groupes de travail. Témoignant, aussi, du large périmètre qu'il leur avait été demandé de couvrir, sachant que chacun des rapports entend être complémentaire des trois autres. Il n'était notamment pas question de se limiter à la question du financement – ou du moins d'isoler cette question. Ceci, tel que le relèvent les représentants des groupes de travail, dans la mesure où avant de parler de recettes nouvelles, on peut et doit parler de maîtrise des coûts. Or maîtriser les coûts, c'est aussi s'intéresser aux lacunes de la prévention, à l'éclatement des systèmes de prise en charge et des acteurs, aux hospitalisations inutiles, au manque d'innovation…
Ainsi, le groupe 1 chargé de se pencher sur la thématique "Société et vieillissement", a organisé ses conclusions autour de deux nécessités plutôt larges : "bien penser le vieillissement pour bien penser la société" et "mieux organiser les acteurs", comme l'a résumé ce 21 juin Annick Morel, inspectrice générale des affaires sociales, modératrice de ce groupe. La première revient à constater qu'une "approche fataliste" du vieillissement est "peu propice à la prévention" et suscite "des politiques peu imaginatives du grand âge". Et Annick Morel de souligner que le "repenser le vieillissement" concerne en premier lieu "les politiques locales", à commencer par l'habitat et l'adaptation du logement. Le rapport évoque ainsi "l'obligation pour les communes et les intercommunalités de prendre en compte le vieillissement dans les documents locaux d'urbanisme" et le nécessaire développement d'habitats adaptés ou adaptables à la perte d'autonomie. Il entend en outre "proposer au gouvernement un pari fort sur la prévention" avec la mise en place "d'un cadre stratégique national et des référentiels communs" et une déclinaison territoriale pilotée soit par les ARS et les caisses vieillesse soit par les départements. S'agissant de la coordination des acteurs – véritable "serpent de mer depuis 30 ans", a reconnu Annick Morel -, le rapport plaide pour la mise en place de "guichets uniques", avec une autorité responsable reconnue par la loi. Et avec, là encore, plusieurs options possibles, même si le groupe estime "plus logique" d'attribuer cette responsabilité aux départements, avec des moyens nouveaux à la clef (135 millions d'euros). Le tout en commençant par mener des expérimentations, sur une durée de cinq ans, sur le modèle de ce qui a été fait en Allemagne.
"Parcours coordonné"
Prévention, coordination… Des problématiques aussi largement abordées par le groupe 3 sous l'intitulé "Accueil et accompagnement des personnes âgées". Un groupe dont les 24 propositions s'articulent autour de quatre orientations : mieux organiser l'offre de services, structurer cette offre autour de la personne âgée, améliorer la qualité, repenser la tarification et réduire le reste à charge. En se basant sur deux grands principes qui ont fait consensus, a souligné mardi Evelyne Ratte, conseiller maître à la Cour des comptes, animatrice de ce groupe : "Le principe du libre choix" et celui d'un "parcours coordonné réellement adapté aux besoins". Parce que le libre choix est le plus souvent synonyme de maintien à domicile, il s'agit bien de permettre à une part croissante de bénéficiaires de l'APA d'avoir accès à "une large gamme de modes de vie à domicile", par le développement de "formules intermédiaires" entre tout-domicile et établissement. Quant à l'idée de "parcours coordonné", il s'agit là encore d'effacer "la complexité des dispositifs" par la création d'une instance dédiée ou par une mise en réseau. Ceci, précise le groupe, non par une création ex-nihilo mais en s'appuyant sur un acteur existant (Clic, Maia, établissement de santé…) - et non par une formule unique mais en reconnaissant la spécificité de chaque territoire. Il s'agit aussi de "faciliter les allers-retours entre différentes formules" (entre domicile et institution notamment) et d'éviter à tout prix les ruptures de prise en charge, par exemple après une hospitalisation.
Financement : hypothèses et scénarios
"Enjeux démographiques et financiers de la dépendance" sous la houlette de Jean-Michel Charpin (groupe 2), "Stratégie pour la couverture de la dépendance" avec Bertrand Fragonard (groupe 4)… Les deux autres groupes de travail ont déjà fait parler d'eux, avec pas mal de données parues dans la presse ces derniers mois.
Ce 21 juin, l'ancien directeur général de l'Insee a réexposé devant la presse les projections démographiques tracées par son groupe (avec l'aide de nombreuses contributions : Drees, Insee, Trésor, OCDE…) sur un horizon long puisque certaines courbes s'étendent jusqu'en 2060. On retiendra notamment que dans l'hypothèse intermédiaire (trois hypothèses sont posées), le nombre de personnes âgées dépendantes en France serait multiplié par 1,4 entre 2010 et 2030 et par deux entre 2010 et 2060. Quant aux grandes lignes des projections financières liées aux dépenses publiques de dépendance, d'hébergement et de santé des personnes âgées dépendantes, le groupe 2 évoque, après de savants calculs (indexation sur les prix et les salaires, etc.) des augmentations de 0,11 point de PIB jusqu'en 2025 puis de 0,33 à 0,39 point de PIB de 2025 à 2040. On sait que la ministre Roselyne Bachelot a récemment traduit cela en indiquant qu'il faudra environ dix milliards d'euros supplémentaires de financements publics en 2040. On n'est donc "pas du tout sur le même ordre de grandeur que pour les retraites par exemple", a d'ailleurs relevé mardi Jean-Michel Charpin.
C'est sur cette dimension financière que s'est focalisé le groupe 4, en s'appuyant sur un important travail de diagnostic quant aux restes à charge à domicile et en établissement, à l'APA, à l'aide sociale à l'hébergement (ASH)… Pour, in fine, étudier trois scénarios : consolidation du système actuel, système où l'assurance maladie prendrait à sa charge les dépenses, système où l'assurance privée remplacerait à terme les dépenses d'APA. On le sait, la très large majorité des membres du groupe a privilégié le premier. Il semblerait donc bien que les deux autres soient définitivement écartés, y compris du côté du gouvernement. L'idée est, ainsi que l'a résumé Bertrand Fragonard, de "maintenir le dispositif actuel, centré sur un socle public puissant". Ce qui n'empêcherait pas, au contraire, plusieurs mesures d'amélioration : augmentation des plafonds de l'APA, modalités de réduction du reste à charge en établissement, introduction d'un barème national pour l'ASH, éventuelle instauration d'un "bouclier-dépendance"… Sur la partie recettes, il n'y a pas eu d'accord au sein du groupe. "C'est logique", a relevé Bertrand Fragonard, s'agissant de choix politiques de dépenses publiques. Certains principes ont toutefois été actés : pas de recours à l'endettement, pas de hausse des charges pesant sur le travail, attention particulière portée aux multiples niches fiscales… Enfin, s'agissant du volet assurantiel, qui resterait parfaitement facultatif, le groupe a souligné la nécessité de disposer de produits d'assurance encadrés et relativement normés.
C'est bien sur la base de ces quatre rapports que Roselyne Bachelot va "proposer des scénarios" au chef de l'Etat, lequel devrait annoncer ses arbitrages courant juillet. Le calendrier ne pourra en effet gère s'étirer puisque Nicolas Sarkozy s'était engagé à ce que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 "soit le support d'un certain nombre d'engagements" – des engagements "strictement financiers", a rappelé la ministre. S'agissant des mesures "organisationnelles", elles devront donner lieu à d'autres textes ultérieurs. Dont, sans doute, un texte législatif pour "améliorer la gouvernance et la coordination". Mais "tout ne sera pas forcément législatif", a souligné Roselyne Bachelot, le volet prévention, par exemple, pouvant passer par un simple "plan". Elle a, enfin, indiqué qu'il fallait distinguer ce qui relève des "besoins d'urgence" (reste à charge, situation de certains départements et de certains services d'aide à domicile, aidants...) et ce qui relèvera du "moyen et long terme".
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