Après celle de l'Assemblée nationale (voir notre article ci-dessous du 27 avril 2020), la délégation aux collectivités territoriales du Sénat organisait jeudi 30 avril une visioconférence, sous la présidence de Jean-Marie Bockel. Au programme de cette réunion, à laquelle participaient une quinzaine de sénateurs : "Les élus à l'action dans les foyers épidémiques de Covid-19". Étaient auditionnés, pour apporter leur témoignage et répondre aux questions, les représentants de trois niveaux de collectivités : Jean Rottner, le président de la région Grand Est, Brigitte Klinkert, la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, et Stéphane Beaudet, le maire d'Évry Courcouronnes (68.000 habitants) et président de l'Association des maires d'Ile-de-France (Amif).
"Aller lentement le plus vite possible"
Les trois intervenants adhèrent largement au principe du déconfinement progressif et différencié annoncé par le Premier ministre. Mais c'est sur sa mise en œuvre et, plus largement, sur les enseignements – au moins provisoires – à tirer de la crise sanitaire que les avis commencent à diverger. Jean Rottner – également médecin urgentiste – souhaite ainsi une plus grande utilisation des tests RT-PCR (tests naso-pharyngés), au-delà de celle annoncée par le gouvernement, en les ciblant sur tous les personnels des institutions essentielles au fonctionnement du pays (hôpitaux, police, pompiers...) et sur les personnes en confinement obligatoire comme les résidents des Ehpad ou les détenus dans les prisons. Une position différente de celle du gouvernement, qui entend cibler ces tests sur les personnes présentant des symptômes et sur leur entourage.
De la même façon, le président de la région Grand Est juge indispensable, même si les besoins en réanimation baissent depuis trois semaines, de ne pas désarmer le dispositif et de se préparer à une potentielle seconde vague. La prudence doit donc être la règle dans la phase de déconfinement. S'exprimant le matin même sur France Bleu, Jean Rottner expliquait ainsi qu'"il faut aller lentement le plus vite possible".
"On a perdu énormément de temps dans les premiers jours"
Pour sa part, Brigitte Klinkert, présidente d'un département particulièrement touché par la pandémie (surmortalité de 128% sur le Haut-Rhin et de 185% chez les seniors) a mis l'accent sur le "tsunami" qu'a représenté la pandémie : "Tout s'est arrêté et, depuis huit semaines, c'est la bataille pour assurer les missions départementales, mais aussi des missions hors champ", notamment bien sûr en matière de santé et de prévention. Conséquence : "Il a fallu changer de logiciel et être agile. Or, on a perdu énormément de temps dans les premiers jours". Brigitte Klinkert a donné quelques exemples de ces dysfonctionnement initiaux, comme l'absence de bilan humain dans les premières réunions avec les services de l'État ou l'opacité complète sur les questions de livraison des masques.
Elle estime en revanche que les départements ont fait la preuve de leur capacité à mobiliser les partenariats, y compris transfrontaliers dans le cas du Haut-Rhin. Si Brigitte Klinkert adhère au principe du déconfinement par territoire, elle redoute en revanche de voir resurgir de "vieux réflexes de centralisation", malgré les engagements du chef de l'État et du Premier ministre.
Davantage de questions posées que de réponses apportées
De son côté, Stéphane Beaudet a rappelé que les communes n'ont pas de compétences en matière de santé, même si elles participent à des actions comme le financement des maisons de santé. En revanche, elles ont des compétences en matière sociale et seront sans doute aux premières loges, avec les départements, face aux conséquences de la crise économique de grand ampleur qui accompagne la pandémie. Sur ce point, la crise sanitaire a révélé quelques faiblesses. Le maire d'Évry Courcouronnes s'est ainsi rendu compte que seules 300 personnes âgées étaient référencées dans le registre tenu par la commune depuis la canicule de 2003, alors que la ville compte environ 6.000 seniors de 65 ans et plus. Un travail avec le département a permis de porter ce répertoire à 800 personnes. Autre aspect mis en avant par le président de l'Amif : le travail d'accompagnement social dans les quartiers, encore plus indispensable dans des périodes tendues comme la crise sanitaire.
De façon plus large, le maire apparaît bien placé pour assurer une fonction de coordination des initiatives de terrain. Il doit aussi mener une action de communication auprès des habitants, avec un devoir de rassurer, d'informer et d'agir. Mais il faut bien admettre qu'il y a davantage de questions posées que de réponses apportées.
Haro sur l'ARS
Les interventions des sénateurs et les réponses des trois invités de la délégation aux collectivités territoriales ont également fait ressortir un certain nombre de thématiques récurrentes. La première est très clairement celle du chef de file unique, notamment face aux collectivités. Sur ce point, les intervenants se sont montrés très critiques sur les agences régionales de santé. Jean Rottner estime qu'elles ne sont pas armées pour faire face à une crise comme celle-ci et plaide pour une réforme en profondeur de l'administration de la santé.
Pour Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche et vice-président de la délégation aux collectivités territoriales, on s'est rendu compte qu'il y a eu une perte de temps dans la remontée de l'information et dans la mobilisation. Charles Guené, sénateur de la Haute-Marne et également vice-président de la délégation, constate que les citoyens s'énervent légitimement en constatant l'"efficacité plus consensuelle" qui prévaudrait de l'autre côté du Rhin. Le principal reproche fait aux ARS est de fonctionner dans une approche et avec des préoccupations trop budgétaires, mais aussi trop normatives, qui paralysent le dispositif et brident les initiatives (oubliant au passage que la France est, parmi les 27 pays de l'UE, celui qui consacre la part la plus importante de son PIB à la santé). Les ARS sont également jugées trop bureaucratiques et trop éloignées du terrain, surtout depuis le redécoupage des régions opéré par la loi Notr (Nouvelle organisation territoriale de la République).
Face à ce constat, la réponse est unanime : il faut un chef de file unique à l'action de l'État sur le terrain, et ce chef de file ne peut-être que le préfet. Plus précisément, la crise sanitaire actuelle démontre la difficulté actuelle, pour l'État, de se présenter comme un partenaire territorial unique. Conclusion : les ARS doivent passer sous la coupe du préfet de région et sous celle des préfets de départements pour leurs délégations départementales. Pour Bernard Delcros, sénateur du Cantal, la priorité doit d'ailleurs aller au préfet de département, "le mieux à même de se coordonner avec les élus locaux". Mais ce point de vue n'est pas unanime, Stéphane Beaudet estimant au contraire que le préfet de région est le mieux placé pour être le chef de file sanitaire dans une région comme l'Ile-de-France, où les territoires sont très imbriqués et les déplacements de population très importants.
Covid-19 et alerte atomique, même combat ?
Catherine Troendlé, sénatrice du Haut-Rhin et membre du Conseil national de sécurité civile, a soulevé une autre question : celle du décalage entre l'impréparation de l'État et de tous les acteurs face à la pandémie et le domaine de la sécurité civile, qui fait au contraire l'objet de plans très détaillés et d'exercices récurrents. Elle a évoqué notamment le cas des risques NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), qui font l'objet d'une préparation intensive en amont du risque.
Même si les plans sont en réalité loin d'être absents dans le secteur sanitaire (plan blanc, plan bleu, plan canicule, plan grand froid...), cette suggestion a suscité un vif intérêt. Françoise Gatel, sénatrice d'Ille-et-Vilaine, a ainsi évoqué l'idée d'une organisation de l'État sous la forme d'une "task force", qui pourrait être activée en période de crise. Une idée qui séduit aussi Brigitte Klinkert, qui estime qu'"on a vu des failles dans l'organisation des services déconcentrés de l'État" et verrait bien la mise en place d'une cellule opérationnelle placée sous l'autorité du préfet et ayant la main sur tous les aspects, y compris en matière de santé.
Et le projet de loi 3D dans tout ça ?
Pour sa part, Philippe Dallier, sénateur de la Seine-Saint-Denis, a évoqué une autre question, qui préoccupe de plus en plus les élus de terrain : celle de la responsabilité des élus dans un contexte de crise sanitaire où toute décision – ou non décision – peut être lourde de conséquences. La question se pose tout particulièrement avec l'approche du déconfinement. Selon Philippe Dallier, certains maires refusent ainsi clairement de porter la responsabilité pénale de la réouverture des écoles maternelles. Des craintes confirmées par Stéphane Beaudet, pour lequel il est urgent que l'État et le législateur se penchent sur la question.
Enfin, les échanges ont montré que le thème du monde de demain qui ne ressemblera pas au monde d'avant n'épargne pas les collectivités territoriales et leurs relations avec l'État. Pour Charles Guené, par exemple, le projet de loi 3D (décentralisation, différenciation et déconcentration) – qui semble aujourd'hui bien loin des préoccupations immédiates – doit être très largement repris, afin d'y intégrer les enseignements de la crise sanitaire. Hervé Gillé, sénateur de la Gironde, demande ainsi que l'on fasse remonter les préconisations du terrain pour améliorer l'agilité de la gouvernance territoriale. Pour sa part, Brigitte Klinkert estime nécessaire de "sortir du carcan de la loi Notr en mettant en place une clause de compétence générale, au moins pour une certaine durée". En attendant ce débat qui devrait s'ouvrir lorsque la France sortira de l'état d'urgence sanitaire, Stéphane Beaudet voit au moins un aspect positif à la crise actuelle : elle a "recousu le fil entre les collectivités et l'État", qui se délitait depuis plusieurs années.
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