Trois jours après le rapport sévère de la Cour des comptes sur la protection de l'enfance, intitulé "Une politique inadaptée au temps de l'enfant" (voir notre article du 30 novembre 2020), l'Odas (Observatoire national de l'action sociale) a présenté, lors d'une visioconférence de presse le 3 décembre, les résultats d'une enquête intitulée "Protection de l'enfance : quand le confinement révèle des pistes d'amélioration". Même s'il s'agit d'une simple coïncidence de dates, les deux documents montrent une approche et des conclusions très différentes. Conformément à sa démarche pragmatique – et au fait qu'il est présidé par un élu local –, l'Odas privilégie en effet une approche positive et constructive. Elle cherche notamment à tirer parti des expériences et des remontées de terrain pour éclairer les acteurs locaux et diffuser les bonnes pratiques.
"Une plus grande inventivité et un recentrage sur le métier"
C'est à nouveau le cas avec cette enquête sur les effets du premier confinement en matière de protection de l'enfance. Menée cet été, elle s'appuie sur les retours d'un millier de professionnels qui "ont fait part de leur vécu et de leur ressenti sur l'impact que la crise sanitaire a eu sur les coopérations institutionnelles, les pratiques professionnelles, les relations avec les familles et les enfants". Outre l'exploitation de ce questionnaire, l'étude a été complétée par des entretiens téléphoniques avec des professionnels des départements.
Comme on pouvait le supposer, le confinement a eu des effets importants sur la protection de l'enfance, même si celle-ci a globalement continué d'assurer ses missions, selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux (voir notre article du 3 juin 2020). Mais le principal enseignement est que le confinement a agi comme un révélateur et a mis en évidence une réelle capacité d'adaptation et d'innovation. "Des initiatives ont fleuri. Les acteurs de terrain ont été capables de construire des solutions en quelques jours. La grande disponibilité des professionnels, avec moins de procédures et de contraintes internes, a permis une plus grande inventivité et un recentrage sur le métier", ont ainsi expliqué Jean-Louis Sanchez, le délégué général de l'Odas, et ses collaborateurs.
"Des initiatives ont fleuri"
L'enquête – auto-déclarative – montre ainsi que 62% des répondants estiment que les pratiques professionnelles durant le confinement ont été "inventives" et 24% "adaptées", quand seuls 5% les ont jugées "plus rigides". De nombreux exemples d'initiatives émergent de la question ouverte et des entretiens : "accueil de répit en crèche, partenariat avec les grandes surfaces pour les bons alimentaires, lieu d'accueil éphémère, équipe mobile IME-ASE [institut médico-éducatif – aide sociale à l'enfance], don de matériel informatique, livraison de petits déjeuners, permanence d'écoute téléphonique, cafés parentalité en visio, bureau mobile dans une camionnette, vivier de volontaires professionnels, médiation animale, séjours à la campagne, etc.".
Cette inventivité s'explique, pour partie, par des allègements ou des aménagements dans les procédures. C'est en tout cas l'avis de 44% des répondants, contre 29% qui n'ont pas vu de modifications et 27% qui ne se prononcent pas. Conséquence : 71% des répondants sont "tout à fait d'accord" ou "d'accord" avec l'idée de s'inspirer de "certaines modalités d'action et de travail apparues avec le confinement".
Des enfants moins stressés : une conséquence inattendue qui pose question
Le résultat est moins évident sur l'effet du confinement sur les relations entre les familles et les professionnels. Si 37% jugent que cette période a renforcé les relations et 21% qu'elle a permis des relations "plus équilibrées", 26% les trouvent "inchangées", 22% "dégradées" et 7% "conflictuelles". En revanche, 51% des répondants estiment que le télétravail a eu un effet "positif" ou "plutôt positif" sur ces relations, contre 21% qui pensent le contraire.
Le plus surprenant reste toutefois l'impact sur les enfants pris en charge (qui n'ont pas été interrogés, mais pourraient toutefois faire l'objet d'une prochaine enquête). Près de 60% des professionnels disent ainsi avoir constaté des "effets positifs inattendus" sur les enfants pris en charge, quand 28% n'ont pas ressenti de tels effets. Des résultats qui interrogent forcément les pratiques professionnelles et l'adaptation aux temps de l'enfant. Une interrogation qui fait écho à ce qu'a pu évoquer Adrien Taquet, le secrétaire d'Etat en charge de la protection de l'enfance, lorsqu'il constatait que "les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance ont plutôt été apaisés", que "la période de confinement a instauré un rythme plus calme et introduit d'autres modes de communication" (voir notre interview du 13 octobre).
Frédéric Bierry : "Cela interroge sur les lourdeurs administratives et le poids des organisations"
Frédéric Bierry, le président du conseil départemental du Bas-Rhin et vice-président de l'ADF en charge des questions sociales, participait à la visioconférence depuis Strasbourg. Il a confirmé, dans son département, "un apaisement inattendu pour de nombreux enfants. Des enfants ont pu se poser, devenir moins stressés. Le rythme de l'enfant a été davantage respecté ; aujourd'hui on doit en tirer les leçons. On veut toujours faire plein de choses", ce qui n'est peut-être pas aussi adapté qu'on pouvait le penser. De même Frédéric Bierry "craignait que ce soit compliqué pour les assistantes familiales", isolées par le confinement. Mais, finalement, "ça s'est plutôt bien passé".
Parfois, l'éloignement de la famille et l'espacement des visites médiatisées "ont joué de façon positive. À la place des visites, la visio permettait de créer du lien sans le stress engendré par la visite", notamment lorsqu'elle est médiatisée. D'où l'intérêt d'une possible réflexion sur une "diversification des canaux de contact". Mais, à l'inverse, le confinement "a parfois permis de laisser une chance aux parents"
De façon plus large, Frédéric Bierry estime que le confinement "s'est plutôt bien passé grâce à une bonne réactivité et à une chaîne de solidarité". Reste toutefois les questions soulevées par l'effet positif de la mise de côté de certaines procédures. Pour le vice-président de l'ADF, "cela interroge sur les lourdeurs administratives et le poids des organisations".
Écarts entre départements ou "prétexte pour l'État" ?
Du côté du fonctionnement interne de la protection de l'enfance, l'enquête met en effet en évidence la nécessité d'une amélioration de l'encadrement. Ainsi, 28% des répondants jugent que "le confinement a exacerbé des tensions préexistantes" et 12% qu'il "a engendré des tensions qui n'existaient pas auparavant". Ce total de 40% est nettement supérieur aux 19% qui estiment que "le confinement a amélioré et/ou facilité le travail en équipe" (quand 33% jugent qu'"il n'y a pas eu de difficultés particulières").
De même, lors de la présentation de l'enquête, la question a été soulevée des remontées négatives de certaines associations sur les dysfonctionnements ou la passivité de la protection de l'enfance durant le confinement. Des observations qui ont aussi visé la PMI, au point de soulever une polémique publique (voir notre article du 30 juillet 2020). Pour Jean-Louis Sanchez, avec le confinement "les départements qui travaillaient bien se sont surpassés, ceux qui faisaient leur travail correctement ont continué et ceux qui ne travaillaient pas bien ont encore accentué leurs dysfonctionnements. C'est la limite de la décentralisation". Il reste que, pour le délégué général de l'Odas, "le niveau départemental est un niveau de rare réactivité et d'inventivité".
Tout en reconnaissant qu'"on doit se remettre en cause", Frédéric Bierry estime pour sa part que c'est surtout "un prétexte pour l'État afin de remettre en question la décentralisation", comme on le voit avec la tendance de reprise en main de la protection de l'enfance à l'œuvre déjà depuis plusieurs années.
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