Ils sont l'une des pièces maîtresses de la réforme des conseils départementaux. Les binômes constitués d'un homme et d'une femme, qui n'ont sans doute pas d'équivalent dans le monde, sont à présent à pied d'œuvre. Comment ces équipiers vont-ils concrètement organiser leur travail ? Les prochaines années nous le diront. Pour l'heure, seules des hypothèses peuvent être avancées.
Sur le terrain, verra-t-on les deux membres du binôme s'occuper ensemble du canton en entier ? Les verra-t-on ainsi tous deux aux mêmes réunions et inaugurations ? Ou chacun des deux élus aura-t-il la responsabilité d'une partie du canton, en sachant que ce nouveau territoire a été agrandi du fait du redécoupage ?
Pour des raisons pratiques, ce deuxième mode d'organisation a des chances de connaître un certain succès. Pour Pierre Sadran, chercheur à Sciences-Po Bordeaux, il faut en effet prêter attention à la manière dont se sont formés les duos avant l'élection. "C’était électoralement avantageux de constituer le 'couple' en prenant des personnalités complémentaires signifiant la prise en considération des principales zones du canton. Lorsque, par exemple, le binôme est constitué du maire d’une commune du canton et de l’adjointe (ou de la maire) d’une autre commune, la 'couverture' géographique du canton est meilleure", précise le politologue. Il n'y a aucune raison pour que cette organisation ne perdure pas après l'élection, conclut-il. En outre, lorsque deux cantons ont été fusionnés, on observe ici ou là que les candidats du binôme sont les deux anciens conseillers généraux (si, bien sûr, l'un d'eux était une femme). Dans ce cas, après l'élection, les élus sont enclins à se partager le territoire en fonction des anciennes limites. Mais, quelle que soit l'organisation choisie, chacun représente bien le canton dans son entier.
A présent, ils sont indépendants l'un de l'autre
Lors de la répartition des dossiers, "les dispositions personnelles" de chacun des membres du binôme vont jouer un rôle certain, affirme Pierre Sadran. Les choix seront aussi orientés par "la profession d’origine, ou encore par une idée 'genrée' de répartition des tâches réservant le social et la proximité aux femmes et l’économique/financier aux hommes". Enfin, "le poids politique respectif de chacun comptera", fait remarquer le chercheur.
Sur ces dossiers - qu'ils concernent le canton ou le département - les membres du binôme pourront tout à fait exprimer des points de vue différents. La loi est en effet très claire : une fois l'élection passée, ils sont indépendants l'un de l'autre. Ce qui a fait dire au sénateur UMP du Cher Rémy Pointereau, au moment des débats sur le projet de loi créant le conseiller départemental, que le binôme peut devenir un "couple infernal". Gérard Marcou, professeur de droit public à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne relativise ce risque. Dans la perspective de l'élection suivante, les membres du binôme auront en effet intérêt à jouer la carte de la solidarité, l'un ne pouvant pas être élu sans l’autre.
"Diplopie binoculaire"
Mais, nuance Pierre Sadran, la vie politique départementale n'est pas à l'abri d'aléas. Alain Faure, directeur de recherche au CNRS en science politique (laboratoire Pacte, université de Grenoble) le confirme. "Dans les conseils généraux, on observait en permanence des 'guerres' et des 'trahisons' [politiques], indique-t-il. On ne compte plus, ainsi, le nombre des conseillers généraux qui, à la suite d'un accord, ont rejoint la majorité départementale [alors qu'ils n'en faisaient pas partie]".
En outre, exactement comme dans un couple, les deux parties du binôme auront peut-être tôt ou tard à affronter une crise. S'ils ont des caractères peu compatibles l'un avec l'autre, le risque est plus grand. "Certains me disent que c'est difficile. Ils divergent sur la stratégie à adopter, ou encore l'un travaille plus que l'autre", déclarait un proche du président de l'Assemblée des départements de France (ADF) entre les deux tours des élections départementales. Ces difficultés laissent donc présager quelques divorces. Dans ce cas, l'électeur souffrira d'un "syndrome de diplopie binoculaire", s'inquiétait le sénateur radical du Var Pierre-Yves Collombat, il y a deux ans au moment de la discussion sur le projet de loi Valls. "Ayons confiance dans la détermination [des binômes] à élaborer des politiques cohérentes, et ce dans le respect de l’intérêt général", lui répondait son collègue socialiste de l'Aisne, Yves Daudigny.
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