Ce projet d'accord vient parachever le "processus de Beauvau" initié par le ministre de l'Intérieur et va désormais être transmis à l'Assemblée territoriale de Corse pour qu'elle le vote, a précisé Gérald Darmanin à la presse à l'issue d'une rencontre de près de cinq heures au ministère. Le texte "respecte à la fois les lignes rouges fixées par le président de la République et moi-même, et également le temps imparti" par Emmanuel Macron, une période de six mois censée s'achever fin mars et déboucher sur un accord, a souligné le ministre.
Gérald Darmanin et les élus insulaires présents, dont Gilles Simeoni, président autonomiste du conseil exécutif de Corse, et Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons à l'Assemblée nationale, ont notamment trouvé un accord sur le premier alinéa de cette "écriture". "La présente écriture constitutionnelle prévoit la reconnaissance d'un statut d'autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre", dit ce premier alinéa. Gouvernement et élus sont aussi tombés d'accord sur le fait que "les lois et règlements peuvent faire l'objet d'adaptation" sur l'île, a ajouté le ministre.
Gilles Simeoni a estimé qu'un "pas décisif" avait été franchi à l'issue de cette réunion, se félicitant que "le principe d'un pouvoir de nature législative, soumis à un contrôle du conseil constitutionnel, soit aujourd'hui clairement acté". "L'étendue et les modalités d'exercice de ce pouvoir législatif (...) relèveront de la loi organique (...) Je dirais que ce soir nous sommes en demi-finale, reste à gagner la demi-finale, et la finale", a-t-il déclaré devant la presse.
"Je reste déterminé à penser que l'octroi du pouvoir législatif est un problème, mais je ne vais pas endosser le rôle du bourreau du processus", a réagi le chef de file de l'opposition locale aux indépendantistes à l'assemblée de Corse, Jean-Martin Mondoloni, laissant planer le doute sur son soutien au texte dans la chambre locale. Sur la même ligne, le sénateur de Corse-du-Sud, Jean-Jacques Panunzi (LR), a répété être "farouchement opposé au pouvoir législatif" qui serait attribué à la collectivité, bien que d'autres veuillent "aller beaucoup plus loin".
Gérald Darmanin a assuré que ce texte ne prévoyait en aucun cas qu'il y ait en Corse "deux catégories de citoyens". "Il n'y a pas de notion de peuple (corse) mais de communauté culturelle", a-t-il détaillé, écartant aussi tout "statut de résident" sur l'île. "Nous avons avancé vers l'autonomie" et "il n'y a pas de séparation de la Corse avec la République" notamment puisqu'on "n'évoque ni le peuple, ni le statut de résident, ni la co-officialité de la langue", a-t-il résumé, ajoutant que "l'écriture constitutionnelle prévoit que les électeurs inscrits sur les listes électorales de Corse soient consultés sur ce projet".
Après consultation de l'Assemblée de Corse, "le président de la République engagera, quand il voudra, la réforme constitutionnelle", a poursuivi le ministre, en rappelant que le texte devra être voté par les deux chambres du Parlement dans les mêmes termes, puis adopté par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes.
"Le transfert du pouvoir législatif, il n'en est pas question"
Cet accord est loin de faire l'unanimité au Parlement : le gouvernement va devoir convaincre le Sénat, où la droite est hostile à la réforme constitutionnelle envisagée. L'exécutif fait notamment face aux réticences du président Gérard Larcher et du chef de file des Républicains, Bruno Retailleau. "Contrairement aux proclamations officielles, le projet sur la Corse revient bien à constitutionnaliser le communautarisme. Reconnaître 'une communauté historique, linguistique et culturelle' revient bien à reconnaître la notion de peuple corse", a fustigé ce dernier sur X. C'est "un pas dangereux à franchir". "Le gouvernement réintroduit de manière détournée les totems et symboles indépendantistes", s'est alarmé auprès de l'AFP le sénateur Jean-Jacques Panunzi.
Autre point irritant, la possible habilitation à "fixer les normes dans les matières où s'exercent ses compétences". "Cela englobe le pouvoir réglementaire mais aussi le pouvoir législatif. C'est inacceptable", reprend Jean-Jacques Panunzi. Dans l'entourage de Gérard Larcher, on confirme cette ligne rouge : "L'autonomie, oui. La spécificité, oui, mais le transfert du pouvoir législatif, il n'en est pas question", glisse une source proche du président du Sénat, craignant que d'autres régions, comme la Bretagne, s'engouffrent dans la "brèche".
Or effectivement, des échos en ce sens ne se sont pas fait attendre. Le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, a fait savoir dès le lendemain de l'accord qu'il demandait à Gérald Darmanin de "reconnaître la diversité des territoires dans un cadre commun". "La République, une et indivisible, est puissante si ses multiples identités sont respectées. La France unie le sera d'autant plus qu'elle reconnaîtra les territoires qui la composent et leurs spécificités. La décentralisation est inscrite dans la Constitution. Et si nous respectons profondément les attentes de la Corse, cela ne peut constituer la seule avancée pour notre pays qui, à mon grand regret, crève de son centralisme", écrit dans un communiqué Loïg Chesnais-Girard.
Loïg Chesnais-Girard a rendu public deux courriers, datés du 4 mars, adressés au ministre de l'Intérieur et au président du Sénat. Il y fait part "d'une proposition ambitieuse et néanmoins susceptible de faire consensus parce qu'universelle". "Elle n'est pas une proposition bretonne pour la Bretagne, c'est une proposition républicaine pour tous les territoires de la République marqués par une forte spécificité", poursuit-il.
Sa proposition s'appuie sur celle "émise notamment par l'ancien Garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas" de réécriture de l'article 73 de la Constitution, qui porte actuellement sur les départements et les régions d'outre-mer pour le modifier dans ces termes: "Les collectivités territoriales de la République peuvent disposer d'un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République et de leurs caractéristiques et contraintes particulières.(...) La loi organique détermine pour celles de ces collectivités qui sont dotées de l'autonomie, les conditions dans lesquelles est organisé le contrôle juridictionnel sur les compétences assumées dans le domaine de la loi." "C'est une proposition simple, attachée autant à l'efficacité qu'au symbole, qui répond potentiellement aux attentes de tous les territoires volontaristes sans en privilégier aucun spécifiquement, ce qui, on le sait, serait lu comme un début de fragilisation de l'unité de la République", estime l'élu breton.
Et ce mercredi 13 mars, c'est la région Île-de-France qui s'est exprimée, disant regretter "que cette logique d’autonomie et de décentralisation ne réponde qu’aux seules logiques identitaires des élus autonomistes et indépendantistes corses et ne permette pas plus largement de confier davantage de compétences aux régions, en fonction de leurs spécificités, de leurs intérêts propres, et de leurs caractéristiques particulières".
Dans un communiqué, elle rappelle avoir en septembre dernier saisi l'État pour "un choc de décentralisation comprenant 45 modifications législatives et règlementaires". Une saisine à laquelle le gouvernement serait "dans l'obligation de répondre" d'ici septembre prochain.
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