Localtis - Vous avez engagé en début d'année une logique de contractualisation avec les départements sur la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022, formalisée par une circulaire en juin dernier. Trente départements avaient été retenus pour s'inscrire dans cette démarche. Où en est-on aujourd'hui ?
Adrien Taquet - Je fais actuellement un tour de France pour signer formellement ces contrats entre l'État et les conseils départementaux. Du fait de la crise sanitaire, les choses ont parfois pris un peu de retard mais tout le travail de formalisation des actions est finalisé avec les 30 départements concernés. J'étais par exemple lundi dans l'Allier, où l'État met 1,2 million d'euros. En Saône-et-Loire, le département sera soutenu à hauteur de 2 millions d'euros. De leur côté, les départements investissent des sommes conséquentes. Cette stratégie a entrainé une dynamique dans l’ensemble des territoires et accéléré certains projets initiés par les départements. Je constate un réel effet d’entraînement.
De quelle façon les choses ont-elles été préparées en amont ?
Il y a un an, j'ai présenté la Stratégie de prévention et de protection de l'enfance, le fruit de plusieurs mois de concertation avec l'ensemble des acteurs. Cette stratégie se construit sur quatre engagements : agir le plus précocement possible pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles ; sécuriser les parcours des enfants protégés et prévenir les ruptures ; donner aux enfants les moyens d’agir et garantir leurs droits et, enfin, préparer leur avenir et sécuriser leur vie d’adultes.
Des projets très concrets nous ont été présentés, nous permettant d’apporter les financements nécessaires et de partager les bonnes pratiques. Dans certains départements, cela concerne notamment la PMI, avec la création de nouveaux postes et une meilleure coordination entre PMI et maternité. Dans l'Allier par exemple, l'un des axes porte sur la sécurité des enfants : création d'un poste de référent contrôle des établissements, des plans de contrôle départementaux désormais présentés chaque année, état précis de l’effectivité des procédures de remontées d’informations en cas d’incident grave...
Comptez-vous poursuivre et élargir cette démarche ?
Cette démarche a été initiée dans 30 départements volontaires en 2020 pour un montant de 80 millions d’euros. Le succès de cet appel à projets était tel que j’ai souhaité accélérer la généralisation de la contractualisation sur tout le territoire en élargissant à 40 départements supplémentaires en 2021 [voir la liste des départements en encadré ci-dessous, Ndlr]. Ce seront donc au total 70 départements concernés par la stratégie.
Peut-on donner une idée de l'enveloppe globale ?
Les départements sont de taille très variable, tout comme le nombre d'enfants protégés, et la nature des projets soutenus est diverse. Au total sur les trois années, en additionnant les financements liés à d'autres éléments de la stratégie – je pense par exemple à la pédopsychiatrie, avec plus de 100 millions d'euros –, on ne sera pas loin du milliard d'euros en faveur de la protection de l'enfance.
Lorsque ce processus de contractualisation avait été annoncé, certains départements n'ont-ils pas craint une forme de "reprise en main" par l'État ?
La politique de la protection de l'enfance est une politique partagée. N’oublions pas que les questions d'éducation, de santé, d'équité territoriale, relèvent du régalien. Le nombre de candidatures témoigne d’un réel intérêt de la part des départements. Le dialogue entre l'État et les départements est utile et fructueux : chacun doit être au rendez-vous de ses responsabilités et de ses compétences. Toute la démarche d'élaboration conjointe de la stratégie, la façon dont on travaille et la nouvelle gouvernance que je veux mettre en place procèdent de la même philosophie : mettre tout le monde autour de la table. Les départements, les associations, et l'État.
En quoi consistera cette nouvelle gouvernance ?
Il y a consensus sur le problème de pilotage de la protection de l'enfance. Je souhaite aller vers la création d'une nouvelle entité, sous la forme d'un groupement d'intérêt public, afin de réunir l'ensemble des acteurs impliqués dans cette politique. Cette entité permettrait de garantir aux enfants, en tout point du territoire, une forme d'équité de traitement. Il s'agit, enfin, d'avoir une meilleure connaissance, notamment statistique. Aujourd'hui, aucune étude longitudinale sur le parcours de ces enfants n’existe. Comment mener une politique publique efficace sans ces informations ? Une réforme de la gouvernance, c'est donc aussi une réforme des outils de connaissance et d'analyse.
La nouvelle entité impliquera-t-elle la fusion des organismes existants, comme l'a récemment préconisé l'Igas ?
Il s'agira effectivement de rassembler les entités existantes, avec leurs expertises, leurs compétences : le Conseil national de la protection de l'enfance, le Giped – le groupement d'intérêt public qui gère le 119 –, l'Observatoire national de la protection de l'enfance et l'Agence française de l'adoption. Les départements auront naturellement toute leur place.
Il s'est dit que l'aide sociale à l'enfance avait plutôt bien "résisté" pendant le confinement. Est-ce également le constat que vous faites ?
Contrairement à ce que je redoutais, nous avons constaté moins d'incidents, moins de violences, moins de fugues… Les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance ont plutôt été apaisés. Cette période de confinement interroge un certain nombre de pratiques. En temps normal, nous sommes très "exigeants" avec ces enfants dont les journées sont bien plus chargées que celles des autres enfants de leur âge. L'école n'est pas toujours à côté et le rapport avec l'école est plus compliqué, il faut se rendre chez le juge… La période de confinement a instauré un rythme plus calme pour les enfants et introduit d'autres modes de communication – Whatsapp, Facetime, le téléphone tout simplement pour maintenir le lien avec les parents. Les équipes ont pris conscience que cela avait une utilité. J'ai d'ailleurs proposé aux associations d'organiser début novembre un séminaire de retour d’expériences.
Et aujourd'hui, à l'issue de cette période particulière, quelle est la situation ?
Pendant le confinement, le nombre d'appels au 119 a augmenté et s’explique en partie par une vigilance accrue de l’entourage. Le nombre d'appels au 119 reste élevé depuis le déconfinement, probablement parce que le "réflexe 119" perdure. La situation nous oblige collectivement à rester très vigilants. Tous les acteurs sont extrêmement mobilisés.
S'agissant des modes d'accueil de la petite enfance, le projet de loi "Asap" tel qu'adopté par l'Assemblée nationale habilite le gouvernement à procéder par ordonnance à une réforme des modes de garde de la petite enfance, reprenant en fait un précédent projet d'ordonnance sur le sujet, qui n'avait pu être publié dans les temps et avait suscité certaines craintes, notamment sur les taux d'encadrement. La nouvelle ordonnance aura-t-elle le même contenu ?
En termes de contenu, il n'y aura pas d’évolution majeure par rapport au précédent projet d'ordonnance, qui était le fruit de huit mois de concertation avec l'ensemble des acteurs. Il y a bien un consensus sur la grande majorité des mesures : par exemple sur le fait de donner plus de souplesse aux assistants maternels, en leur donnant la possibilité d'accueillir exceptionnellement un enfant supplémentaire dans la limite d’une semaine par mois. Il demeure quelques points qui font toujours l’objet de discussions et lorsque le projet de loi sera adopté, je prendrai les décisions qui relèvent de mes responsabilités.
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFomJ2qmZq7bsDAqqyerF2hrm680airnpuknryvecOeZKWdnpuur6%2FEZpysrF2qu6Z5z6ijoqyZpsKmec%2Baqa2Zl5qy